Mémoire de recherche d'Olivier Bonijol, sous la direction du Professeur Nicolas Ferrier.
En 2013, Microsoft annonce la sortie de sa nouvelle console de jeu : la Xbox One. Cette annonce marque l'arrivée d'une nouvelle génération de consoles[1]. Cependant cette annonce, qui devait enthousiasmer les joueurs du monde entier, crée une polémique : la société Microsoft annonce que, pour être utilisée, sa nouvelle console devra être reliée à internet ; et ce faisant elle pourra empêcher (ou contrôler) les prêts de jeux entre joueurs et la revente de jeux d'occasion. Avec l'avènement de l'internet accessible à tous, Microsoft tente de bouleverser les pratiques : Non seulement sa nouvelle console connectée propose une boutique en ligne permettant de vendre des jeux sous forme dématérialisée, mais en outre elle pourra contrôler l'utilisation des jeux vendus physiquement (c'est-à-dire sur un DVD-ROM dans un boitier). Une telle politique trouve le soutien des éditeurs, qui y voient la possibilité d'éviter la pratique du prêt ou du marché d'occasion (qui diminue leurs ventes).
Sony, société concurrente de Microsoft qui devait elle aussi annoncer la sortie de sa nouvelle console, réagit rapidement : Elle diffuse une vidéo intitulée "Official Playstation used game instructional video"[2] dans laquelle Sony annonce qu'elle va nous expliquer comment on prête un jeu : on y voit un homme qui tient une boite de jeu dans les mains, et qui la remet dans les mains de son voisin qui lui dit "merci" ; et c'est la fin de la vidéo. Sony explicite donc le droit des joueurs à se prêter, de la main à la main, les jeux vidéo. Cela est confirmé par les déclarations du président de Sony Computer Entertainement pour l'Amérique : "Lorsque les joueurs achètent un disque pour la Playstation 4, ils ont le droit d'utiliser cette copie du jeu, de la vendre à quelqu'un, de la prêter à un ami ou de la conserver indéfiniment"[3]. Comme l'analyse E. Netter, on peut constater que dans cette vidéo "Les concepts juridiques mobilisés par ce discours doivent être relevés. L'utilisateur du logiciel a" acheté "une" copie "du jeu, sur laquelle il doit exercer, en toute liberté, des prérogatives qui évoquent largement celles d'un propriétaire. Ce droit réel s'exerce d'une manière concrète, palpable, par une emprise matérielle sur une chose corporelle, le" disque "du jeu."[4]. On peut même relever l'utilisation de la pratique de la transaction de la main à la main : une pratique plurimillénaire ancrée dans les sociétés humaines.
La polémique se termine par une victoire apparente de la communauté des joueurs (et de Sony) : Microsoft annonce au bout de quelques semaines qu'elle retire son système de contrôle via internet des jeux achetés en boitier. Les joueurs retrouvent ainsi leur liberté et leurs pouvoirs sur leurs jeux.
Mais cette liberté conservée sur les consoles "nouvelle génération" ne concerne que les jeux achetés physiquement. Pour les jeux achetés sur les boutiques en ligne intégrées aux consoles en revanche, Microsoft comme Sony empêchent toute revente d'occasion ou toute forme de prêt. Or, avec le temps, c'est cette forme de vente dématérialisée qui va progressivement prendre le dessus sur la commercialisation physique des jeux vidéo. A la fin des fins, malgré cette polémique et cette victoire apparente, les joueurs souhaitant jouir des facilités de la dématérialisation devront finir par admettre la perte de contrôle sur leurs jeux ; pour le plus grand bonheur des distributeurs, et, dans un premier temps, des éditeurs.
Cette anecdote condense de nombreuses problématiques liées à la distribution des jeux vidéo : Les problématiques liées au passage de la distribution physique à la distribution dématérialisée, c'est-à-dire liées au passage d'une forme de distribution à une autre ; ayant chacune des implications techniques et commerciales (et juridiques) fondamentalement différentes. Ensuite, la question du contrôle des joueurs sur leurs jeux, et les problématiques subséquentes attachées à l'existence de la pratique du prêt et d'un marché de l'occasion ; en filigrane, c'est toute l'appréhension juridique des opérations de distribution qui est en jeu (et notamment la question du transfert de propriété et des droits transmis aux joueurs). Enfin, cette anecdote nous montre l'importance croissante des distributeurs et de leurs plateformes par lesquelles les joueurs doivent passer pour acheter ou accéder à leurs jeux ; et la volonté de contrôle de ces distributeurs qui cherchent parfois à imposer de nouvelles pratiques aux joueurs (et aux éditeurs).
Cette anecdote nous montre surtout qu'au fil des décennies, l'industrie du jeu vidéo n'est plus un secteur économique négligeable, réservé à un public restreint d'adolescents. La polémique sur l'annonce de Microsoft portée par les joueurs, et la réponse de Sony, ont fait grand bruit et ont été relayées par la plupart des médias spécialisés mais aussi par les grands médias nationaux de tous les pays développés du monde. Surtout, cette polémique est née d'une guerre marketing entre deux grands constructeurs de console. Car la sortie d'une console, et de jeux sur cette console, est une affaire à très fort enjeux économiques et financiers : A titre d'exemple, la Playstation 4 s'est vendue à plus de 100 millions d'exemplaires, ce qui a permis la distribution de près d'1,2 milliards de jeux vidéo (pour cette console uniquement[5]²). Le jeu vidéo est désormais un secteur économique majeur de l'économie mondiale, dont le public est maintenant large et diversifié. La distribution des jeux vidéo est désormais une activité à fort enjeu.
Memoire Complet 155 pages : https://drive.google.com/file/d/1JSlJUSTq7zHtxR7Ei-aeMkzwsPhJspS8/view?usp=share_link
Source : https://www.afjv.com/news/11059_distribution-jeux-video-approche-juridique.htm